Arbre
sauvage, lent oiseau qui se glisse entre les mailles des fougères,
elle avance jusqu’à la table où elle prend une cigarette. Petit
scarabée d’or sur une dune, elle se pose sur un canapé de sable
et regarde en coin les convives. Certains deviennent troubles sous
les feux d’une fumée s’échappant de ses lèvres rouges,
certains ont le regard brillant dans l’éclat des braises qui
s’enflamment au bout du tabac, certains disparaissent dans l’ombre
géante qui se profile depuis son dos de marbre.
En
m’approchant d’elle, je sens son rire qui ouvre mon cœur comme
une fleur au printemps, j’aperçois le plissement au coin de son
œil qui marque le désir comme le zip d’une robe qui tomberait à
ses pieds. Sa cigarette se consume à la même vitesse que le désir
gonfle en bas de mon ventre. Je me sens pivert qui veut creuser son
nid mais elle m’ignore tout en me dévisageant, elle me dévore
sans me toucher. Je me sens déjà prisonnier d’une force aussi
irrépressible que la gravité.
Singe
en hiver, diable dévot, sa jambe s’enroule comme une liane autour
de ma cuisse. Rien chez elle n’est gratuit ou malheureux, elle est
comme les volcans sombres vénérés par les anciens peuples :
imprévisible. Derrière le masque hiératique et solennel de son
visage pharaonique, c’est la déesse mère Isis en personne. Elle
est le trône, l’alpha et l’oméga. Et me voilà Osiris, découpé
en quatorze morceaux épars.
Sa
langue est celle d'un serpent de feu. En la sentant s'approcher au
bord de mes lèvres, c'est tout mon corps qui se retourne, dans un
grand bouleversement des sens qui me ferait croire à l'apocalypse
des anges. En sentant sa bouche s'approcher de la mienne, c'est le
souffle de Yahvé personnifié qui vient faire tonner mon cœur.
Arbre
sauvage, lent oiseau qui se glisse dans mes entrailles, personne ne
peut la posséder car elle est l'anima primus, le lotus rouge qui
flotte au mât de cocagne de mon bateau ivre, la tempête de neige
dans un printemps fleuri.
Elle
est l'edelweiss en haut de la montagne, la fleur fragile qui brave
l'extrémité du monde, elle embaume la raison de fragrance sauvage
qui ferait croire à Galilée que la terre est plate. Elle est le
dharma de la sensualité, le vajra efficient qui fait de vous un être
de vent et de feu. Elle est Saint Michel terrassant en vous le dragon
des rêves avec sa peau de lait, ses seins en pointe de diamant, son
dos de marbre et ses cuisses de soldat qui se nouent autour de vous
pour vous étouffer de joie.
Au
fond de ses pupilles, vous ne voyez pas une femme mais une divinité
ancestrale, majestueuse qui déploie ses ailes d'amour et vous
recueille en son sein.
Arbre
sauvage, arbre éternel, Gaïa vous prend quand vous croyez la
prendre. En elle mon sexe touchait le fond de l'intimité des dieux.
Nul trouble, nul autre sensation qu'une douceur suave et reconnue,
acceptée, l'assomption du maudit qui atteint enfin la grâce
extatique et merveilleuse. L'orgasme est pour les petites gens quand
on sent Aphrodite vous couvrir de grâce et de merveille. Possédé
et étouffé par le désir, on se sent mourir dans un bonheur
lumineux qui ne laisse plus aucune autre place au monde que celle
d'un relaps enfin pardonné.
Arbre
sauvage, arbre géant, elle est l'horizon, le ciel étoilé une nuit
de saint jean. Elle est la première lumière de l'équinoxe de
printemps, elle est la pointe de Khéops sous les cieux d'Orion. Elle
est l'ordre du monde, sa marche forcée, le saint siège où toutes
les religions du monde prennent leur source.
Arbre
sauvage, lent oiseau mystérieux. Elle vogue sur terre comme un
vaisseau millénaire, offrant la sagesse de son désir à l'homme de
rien pour en faire un héros.
Et
l'homme de rien même devenu héros ne peut que louer la
divinité...