mardi 12 mars 2013

Arbre sauvage

Arbre sauvage, lent oiseau qui se glisse entre les mailles des fougères, elle avance jusqu’à la table où elle prend une cigarette. Petit scarabée d’or sur une dune, elle se pose sur un canapé de sable et regarde en coin les convives. Certains deviennent troubles sous les feux d’une fumée s’échappant de ses lèvres rouges, certains ont le regard brillant dans l’éclat des braises qui s’enflamment au bout du tabac, certains disparaissent dans l’ombre géante qui se profile depuis son dos de marbre.

En m’approchant d’elle, je sens son rire qui ouvre mon cœur comme une fleur au printemps, j’aperçois le plissement au coin de son œil qui marque le désir comme le zip d’une robe qui tomberait à ses pieds. Sa cigarette se consume à la même vitesse que le désir gonfle en bas de mon ventre. Je me sens pivert qui veut creuser son nid mais elle m’ignore tout en me dévisageant, elle me dévore sans me toucher. Je me sens déjà prisonnier d’une force aussi irrépressible que la gravité.

Singe en hiver, diable dévot, sa jambe s’enroule comme une liane autour de ma cuisse. Rien chez elle n’est gratuit ou malheureux, elle est comme les volcans sombres vénérés par les anciens peuples : imprévisible. Derrière le masque hiératique et solennel de son visage pharaonique, c’est la déesse mère Isis en personne. Elle est le trône, l’alpha et l’oméga. Et me voilà Osiris, découpé en quatorze morceaux épars.

Sa langue est celle d'un serpent de feu. En la sentant s'approcher au bord de mes lèvres, c'est tout mon corps qui se retourne, dans un grand bouleversement des sens qui me ferait croire à l'apocalypse des anges. En sentant sa bouche s'approcher de la mienne, c'est le souffle de Yahvé personnifié qui vient faire tonner mon cœur.

Arbre sauvage, lent oiseau qui se glisse dans mes entrailles, personne ne peut la posséder car elle est l'anima primus, le lotus rouge qui flotte au mât de cocagne de mon bateau ivre, la tempête de neige dans un printemps fleuri.

Elle est l'edelweiss en haut de la montagne, la fleur fragile qui brave l'extrémité du monde, elle embaume la raison de fragrance sauvage qui ferait croire à Galilée que la terre est plate. Elle est le dharma de la sensualité, le vajra efficient qui fait de vous un être de vent et de feu. Elle est Saint Michel terrassant en vous le dragon des rêves avec sa peau de lait, ses seins en pointe de diamant, son dos de marbre et ses cuisses de soldat qui se nouent autour de vous pour vous étouffer de joie.

Au fond de ses pupilles, vous ne voyez pas une femme mais une divinité ancestrale, majestueuse qui déploie ses ailes d'amour et vous recueille en son sein.

Arbre sauvage, arbre éternel, Gaïa vous prend quand vous croyez la prendre. En elle mon sexe touchait le fond de l'intimité des dieux. Nul trouble, nul autre sensation qu'une douceur suave et reconnue, acceptée, l'assomption du maudit qui atteint enfin la grâce extatique et merveilleuse. L'orgasme est pour les petites gens quand on sent Aphrodite vous couvrir de grâce et de merveille. Possédé et étouffé par le désir, on se sent mourir dans un bonheur lumineux qui ne laisse plus aucune autre place au monde que celle d'un relaps enfin pardonné.

Arbre sauvage, arbre géant, elle est l'horizon, le ciel étoilé une nuit de saint jean. Elle est la première lumière de l'équinoxe de printemps, elle est la pointe de Khéops sous les cieux d'Orion. Elle est l'ordre du monde, sa marche forcée, le saint siège où toutes les religions du monde prennent leur source.

Arbre sauvage, lent oiseau mystérieux. Elle vogue sur terre comme un vaisseau millénaire, offrant la sagesse de son désir à l'homme de rien pour en faire un héros.

Et l'homme de rien même devenu héros ne peut que louer la divinité...

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