lundi 8 octobre 2012

Magie noire

 




J’ai mangé des couillons d’oie, du ventre de lièvre. J’ai frotté de la civette sur mon gland, fait des décoctions de mille-pertuis. J’ai respiré la fumée de la dent d’un mort, ouvert le ventre béant et chaud d’une jument pour croquer dans l’hippomane, mâché de la cardamome à la lune montante.
Mais je suis toujours là, vieil anachorète au sang bouillant, puant le fauve et le sperme, les yeux brouillés sur l’objet de mon désir alpha.
Je me suis noyé dans les sortilèges, pourri mon âme en offrant mon sang à Vénus, rencontré Orphée aux confins du styx, j’ai eu le coeur dévoré mille fois par les Ménades. J’ai été maudit des Dieux lunaires, j’ai broyé ma langue à réciter des chants anciens.
Mais je suis toujours là, vieil anachorète au sang bouillant, puant le fauve et le sperme, le sexe dressé vers l’inaccessible.
Je l’avais rencontré un soir d’aurore, un matin embrumé par une pluie glacée, sur la rivière des rails où le tam-tam des trains entrait lentement en résonance avec ma poitrine. Elle pleurait des cheveux blonds, arpentait le sol triangle de ses yeux tristes en mangeant un beignet sucré qui avait la forme de mon foie.
Elle était douce, du miel d’Acadie, dès les premiers instants j’avais été l’insecte prisonnier d’une toile de jambes, roulé dans un collenchyme de râles et de soupirs, d’orgasmes mystiques qui me donnait l’impression de communier avec Dieu.
Mais elle était aussi de la nature de Satan, de cette chair de pierre qui vous glace et vous fascine, qui vous oblige à vous noyer dans la noèse, qui transfigure chaque instant d’éternité en infâme brûlot et blasphème.
Aussi, lentement, inexorablement, je me suis incarné dans son ombre, devenant la chair fantomatique de son logba, incapable de voir, d’entendre ou de goûter à d’autres plaisirs que ceux d’une fosse noire, de ce trou qui chaque jour grandissait en moi et me dévorait le coeur et les reins.
Et je suis devenu aussi noir que les ténèbres, abysse sans abscisse, ordonné prêtre fou, vieux sorcier, mystique, ascète d’un cul qui rayonnait dans la nuit noire de mon esprit dérangé.
J’ai commencé à manger de la tomentille, à saigner des taureaux blancs, à mélanger la mandragore et la jusquiame, à boire de l’eau de marais.
Et maintenant je suis là, vieil anachorète au sang bouillant, puant le fauve et le sperme, l’esprit fou et l’âme tourmenté, maudit parmi les maudits.