Il faut parfois se l'avouer, nous ne
sommes pas des libertins.
A en voir, à en rencontrer, à
partager avec eux des moments plus ou moins intimes, nous ne nous
sentons pas à notre place dans leur monde.
Univers de rituels, de règles, univers
de fantasmes, c'est un monde de théâtre qui se contente d'un lever
de rideau pour jouer une pièce en un ou plusieurs actes où chacun a
une place trop précise pour ouvrir le sujet au monde, au plaisir de
l’altérité.
Des souvenirs nous reviennent, ils ont
le parfum de satan, le souffle de la maladie. Des corps enfermés
dans une posture et une tenue qui n'est pas la leur, des hommes et
des femmes avec un masque de mort, occupés à réaliser
désespérément un fantasme, à voler chez les autres un ersatz de
naturel. Mais le naturel ne s’échafaude pas, il est.
Chaque couple, chaque femme, chaque
homme est comme un jardin fruitier, promesse de délice et de joie,
promesse de découverte et d'émerveillement. On ne le parcourt pas
pour y entasser tous les fruits que l'on aime mais pour le plaisir
d'y voir le mystère d'une nature rayonnante et généreuse. Et quand
on fini par mordre dans un fruit que l'on a cueilli au hasard de
notre promenade, c'est un acte de communion qui précède le plaisir
et non un vol ou un achat à l'étalage.
Des souvenirs nous reviennent, joyeux,
rieurs, sauvages, de personnes plus libres que libertins qui dans la
douceur d'une rencontre éphémère ou amicale sont venus partager
avec nous les fruits de leur passion, s'offrir entière à nous au
moment où nous nous offrions entièrement. Communion des âmes et
des corps, jouissance mystique et animale qui se fiche des
conventions.
Voilà d'ailleurs le secret, ne pas
s'enfermer dans les conventions, de couple, de libertin, d'adultérien
ou de je ne sais quoi.
La « chose sexuelle » est
un acte de création, pas un acte de plaisir. Ce n'est ni un quête
ni un besoin, encore moins ligne de force et de tension entre les
hommes et les femmes.
Cette ligne frontière que nous
installons tous entre le faire et non faire est une violence pour la
nature. Les arbres ne poussent pas droit, les gourmands envahissent
les troncs, le pollen se disperse au gré du vent, les jeunes pousses
sont partout, au hasard de cette communion entre une terre qui
conditionne la vie et les forces vitales de la nature qui s'essayent
dans toutes les directions.
Nous ne sommes pas libertins. Nous
n'aimons pas ces fausses rencontres, ces programmes définis à
l'avance, ces règles du jeu indigentes qui tuent le désir. Nous
n'aimons pas ces rencontres charnelles qui sont minutées, qui ne
veulent s'ouvrir que dans un petit théâtre de marionnette.
Des souvenirs nous reviennent, de ces
amitiés naissantes avec des couples, des femmes et des hommes qui
s'abandonnent dans notre jardin pour s'endormir dans l'herbe fraîche
de notre lit, sans autre condition que celle d'une nature apaisée,
amicale et joyeuse.
Qui sont ces libertins finalement qui
présentent leur corps comme un objet cadeau pour mieux nous voler ?
Qui sont également ces parangons de vertu qui enferment leur couple
dans une pâte fusionnelle indigeste ? Ce sont les mêmes en
réalité.
La vie n'est que promesse ; du
premier vagissement de l'enfant à notre dernier souffle, nous ne
sommes qu'un peu de vent qui passe dans le feuillage parfumé d'un
pommier.
Cette promesse, cette passion est
partout autour de nous : dans les arts, dans la musique, dans
les rencontres humaines, dans la sexualité. Aucun autre plaisir
n'est plus grand que celui de s'abandonner à notre nature de brise
légère et inconstante ; il n'y a pas de d'autre éthique que jouer comme un enfant dans un jardin fruitier.