Il y a un sujet que je n'ai pas abordé et qui me tient à cœur depuis bien longtemps et qui mérite d'être traité dans ce petit blog. Je ne pense pas, mais comme tous les autres sujets abordés ici, détenir la vérité, mais au moins en posant la question, elle fera quelques pousses en vous et viendra me faire retour par vos réactions.
Ce sujet, c'est la question du pourquoi et non du comment. Il est assez facile de décrire finalement tous les comment du libertinages, les "commentaires" sont d'ailleurs sans fin, mais le pourquoi, la cause du libertinage, est une question ardue qui ne se laisse pas réduire facilement. J'y pense depuis un moment car ce pouquoi est indispensable pour comprendre ce que nous voulons y investir comme part d'âme et de raison.
Il est assez convenu finalement de s'arrêter à l'explication d'un envers de mœurs. Si cela pouvait être vrai au 18eme siècle ou avant, quand on opposait le mariage d'inclination au mariage par contrat, cela n'est plus réellement possible aujourd'hui. La liberté sexuelle s'est diffusée dans toutes les couches de la société occidentale, y compris chez les moins orthodoxes et notre rapport à la chose du sexe comme on le disait il y a cinquante ans n'est plus recouvert de tabou ou d'interdit. Le retour et le recours à certains discours puritains en donne le ton par ailleurs; le désir d'un retour en arrière est bien le signe que nous sommes passés devant.
Il est encore plus convenu et à mon avis stupide de faire comme certains le pensent le raccourci entre libertinage et liberté. Rares sont les exceptions comme Diderot ou Philippe d'Orléans, le reste se résume plutôt soit à une forme de perversion (Marquis de Sade), soit à des moralistes (Laclos) ou soit à des utopistes (Fourrier, Meslier). Et ces derniers étaient plus que sages dans leur sexualité.
C'est donc du côté du l'imaginaire que j'ai commencé à observer le libertinage et l'échangisme. En prenant l'hypothèse que le désir de libertinage est un scénario mental. Un moyen d'avoir un rapport sexuel sans avoir de relation à l'autre et là, bingo, on commence à dérouler tout le bon vieux bagage analytique qui nous permet du coup de comprendre combien le libertinage contemporain est bien plus proche d'un rapport fantasmé que d'un désir de liberté, de dépassement de codes moraux et autre fadaises que l'on peut entendre ou même s'entendre dire soi-même.
Je m'explique.
Nous ne sommes pas des animaux, notre instinct n'est pas ce qui guide notre sexualité, pas seulement en tout cas. Et une relation sexuelle n'est pas un rapport réel à l'autre. On peut faire l'amour et se sentir seul. On peut d'ailleurs aussi vivre à deux et se sentir seul ! Mais au delà des pulsions sexuelles que nous pouvons avoir, la réponse culturelle est très forte chez l'humain. Nous choisissons aussi nos partenaires parce qu'ils répondent en partie à notre bagage culturel.
C'est en partant de ce constat que j'ai commencé à regarder un peu comment les libertins se présentaient sur les sites internet. La présentation a ceci de particulier qu'en quelques phrases et photos, c'est justement tout une coloration de l'imaginaire qui se décline.
Les corps sont souvent morcelés, les poses explicites, les regards rares. C'est une société du spectacle qui se met en scène, tant par l'image que par des textes relativement pauvres où l'on retrouve très régulièrement des expressions comme «pas de prise de tête », ou des mots creux comme « glamour », « raffinement », « charme » qui sont d'une relativité absolue car en forte teneur de subjectivité.
Royaume du spectacle, royaume du morcellement, royaume d'une gouvernance du pathos qui se cache dans les limbes d'un semblant de liberté où les signifiants maîtres sont ceux d'un jeunisme imaginaire qui se voile d'une pudibonderie, l'obscène servant souvent de voile au sujet, un sexe, une pose cachant le sujet sous des oripeaux pour ne pas révéler la petite formule dérisoire d'un fantasme somme toute fort banal.
L'on pourrait croire aussi, et j'y ai cru pendant longtemps, qu'il y avait une forme de consumérisme libertin, mais si l'on regarde cela sous l'angle du petit trucage du fantasme, il est plus clair qu'il s'agit en réalité d'une absence de rapport, l'aveu implicite que c'est un relation qui rate, une défaillance devant l'énigme que représente l'autre dans son altérité ; et la peur de se confronter réellement à cette altérité en préférant un petit voyage touristique sans conséquence plutôt qu'une relation. On va se promener autour d'un autre couple, d'une autre femme et puis l'on revient chez soi, content, l'esprit libéré de notre petit cinéma interne que l'on a projeté un instant, comme pour dire j'y étais ; comme ces photos de voyage où l'on est sourire béant dos à un bâtiment pour dire qu'on y était. Et on y était, de dos. Mais dos à l'histoire, dos à l'autre, sans le voir dans sa réalité.
Pourquoi le libertinage, voilà une question qui ne peut faire l'économie de l'histoire des mœurs. Il faudrait prendre une telle étude et repérer pour chaque époque tous les trous qui déchirent le tissu du désir pour comprendre en quoi certaines pratiques sont acceptées et certaines rejetés comme des déchets qui se recyclent en fantasme.
Mais surtout ce pourquoi doit nous interroger sur notre pratique, sur notre rapport à l'autre, ce que nous en attendons, ce que nous sommes prêt à donner, ce que nous sommes réellement prêt à échanger, car à rester uniquement dans le royaume du spectacle, nous nous condamnons nous-mêmes à finir comme un touriste qui visite tous les pays du monde sans être transformé par ses voyages, nous nous condamnons à la pauvreté et la misère de notre propre désir, devenu incapable de se renouveler au contact de l'autre, perdu dans la recherche d'une meilleure rencontre, d'un meilleur pays, d'une terre où l'herbe serait plus verte quand juste à côté de nous, le plus grand des mystère, la plus belle découverte nous tend la main à condition que nous acceptions de la regarder.
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